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26/02/2013

30 ans de guerre au nom de dieu / Thomas Johnson 2011

 

‘’l’histoire moderne a montré à maintes reprises que les alliances du trône te de l’autel ne peuvent que discréditer les deux.’’  Hanna Arendt

 

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Thomas Johnson, né en 1955, grand reporter et auteur réalisateur de films documentaires français

 

 

 

 

source blogapares  http://www.blogapares.com/

27/01/2013

Idle no more / Simon Jodoin 2013

 

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Idle no more est un mouvement national autochtone regroupant des Pekuakamiulnuatsh, des Atikamekws, des Innus de la côte nord et des québécois qui s’opposent au projet de loi fédéral C-45 et C-48 qui modifie notamment la loi sur la protection de la navigation, la loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la Loi sur les Indiens sans consulter les Premières Nations … Mais ceci concerne tous les autochtones et non-autochtones de ce pays, pour l’avenir de la population canadienne/québécoise.

Le mouvement débute le 11 décembre 2012 lorsque la cheffe crie Theresa Spence de la réserve d’Attawapiskat dans le Nord de l’Ontario (Canada) entreprend une grève de la faim dans un tipi implanté sur l’île Victoria (Rivière des Outaouais), à Ottawa, pour mettre fin à l’inaction et l’inertie des relations difficiles entre l’État du Canada et les Premières nations (qui vivent toujours malgré les nombreuses promesses dans des conditions déplorables )... Elle exige une rencontre avec le premier ministre Stephen Harper. Ce qu’il refuse pendant 24 jours.

Idle No More  - jamais PLUS l’INACTION - a été lancé par quatre femmes: Nina Wilson, Sylvia McAdam, Jessica Gordon et Sheelah McLean pour attirer l’attention sur l’impact de cette loi omnibus «non seulement sur les Autochtones, mais également sur les territoires, l’eau et tous les citoyens canadiens», lit-on sur le site Web du mouvement. »

C’est un mouvement de la base, qui vient du peuple. -

Des manifestations de plus en plus nombreuses viennent appuyer les revendications portées par la gréviste de la faim partout au Canada et au Québec, jusqu’en Gaspésie et sur la Côte Nord, au Saguenay Lac-St-Jean

d’après Michaël Paul


plus sur Idle no more ici &

 

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Simon Jodoin, journaliste canadien, rédacteur en chef et directeur du développement des nouveaux médias au Voir, ‘’poète du dimanche et polémiste de fin de semaine.’’

 

Idle No More: Mécanique amérindienne

 

Je ne crois pas vous avoir déjà raconté que j’ai été, dans une autre vie pas si lointaine, amateur de mécanique. Ma blonde et moi avions acheté ce que nous appelions un toaster, un de ces vieux camions Volkswagen Type 2 transformés en sortes de résidences pour campeurs. J’adorais ce camion qui était en soi un hobby, non pas pour se balader, mais bien pour le garder garé derrière la maison et le reconstruire de A à Z. J’exagère à peine.

C’est à cette époque que j’ai appris la signification du mot anglais idle.

Idle… comme dans Idle No More.

En mécanique, donc, l’idle est la vitesse de rotation d’un moteur au moment où il n’est pas couplé à la transmission et se trouve donc ainsi sur le «neutre». Dès que vous êtes arrêté, au feu rouge par exemple, votre moteur est sur l’idle. À l’époque glorieuse où les véhicules étaient munis d’un carburateur, il fallait ajuster l’idle, ce qui relevait presque de l’alchimie. Le moteur devant tourner sur lui-même par sa propre force, avec une alimentation autonome puisque vous n’appuyez pas sur l’accélérateur, il faut bien doser le mélange d’air et d’essence… Pas trop riche, sinon le moteur étouffe, mais pas trop pauvre, sinon il chauffe.

Et surtout, pas trop lentement… Sinon, au moment d’embrayer, ça donne des coups et vous risquez de «staller», comme on dit en latin. N’en doutez pas, l’idle nécessite un ajustement de haute précision.

J’ai l’air très cultivé, comme ça, à vous parler de mécanique, mais je dois aussi vous dire que je ne connais rien à la question amérindienne. Pantoute. J’ai le vague sentiment de ne pas être le seul chroniqueur à être assez fourré devant ce problème complexe. Rares sont ceux qui dépasseront ce constat banal, d’ailleurs: c’est compliqué. Les autres y iront des bons vieux clichés à propos de l’alcool et du tabac, des casinos, des routes barrées, et du type masqué qui regardait le militaire dans les yeux sans bouger.

Et du fric aussi. On leur en donne du fric. On leur en pique aussi.

La Presse en parlait cette semaine d’ailleurs. Du fric. C’est bien beau, être pauvre et rouler sur le neutre, mais punaise de morbleu, ils ne savent pas gérer le fric qu’on leur donne! Imaginez-vous donc. La journaliste Louise Leduc rapportait à ce sujet l’étonnement de Stephen Harper à propos des finances d’Attawapiskat: «Le premier ministre Stephen Harper s’était demandé tout haut comment une telle pauvreté était possible alors que 90 millions de dollars avaient été investis en six ans dans la communauté, soit environ 52 000$ par habitant.»

Attendez, là, un peu… Où allez-vous, monsieur le premier ministre, d’un pas si guilleret avec votre étonnement à la suce-moi-le-gros-orteil? Faisons un calcul simple. 52 000$ par habitant en 6 ans. Ça nous donne 8666$ en moyenne par personne, donc, pour gérer une communauté déjà dans la dèche, loin de tout, plus loin que ça encore en fait, dont certains membres n’ont pas d’eau, pas de chauffage, pas d’éducation, une communauté bourrée de problèmes sociaux.

Vous savez quoi? Donnez donc 8666$ de hot-dogs par sans-abri au père Pops pour Le Bon Dieu dans la rue… Eh bien, je vous garantis que dans 50 ans, il va encore être dans la rue, le bon Dieu. Dans mille ans aussi.

Seriez-vous en train d’essayer de m’enculer avec un spin épais, monsieur le premier ministre? Parce que je sens quelque chose me grouiller dans le derrière quand vous sortez ce genre de chiffres.

Vous voyez, même moi je me suis fait prendre au piège des clichés et du fric. C’est parce que je n’y connais rien. Je vous avais prévenu.

Parce que c’est compliqué, l’idle. C’est un ajustement précis. Le mélange air/pétrole… Toujours le mélange air/pétrole.

Et l’idle, ça ne sert à rien d’autre qu’à faire rouler le moteur en attendant d’embrayer pour aller quelque part. Un moteur qui ne fait que tourner sur lui-même ne sert à rien. Il remplit sa fonction lorsque le véhicule nous permet de nous déplacer.

À ce titre, le nom du mouvement Idle No More est très bien choisi et permet peut-être d’évoquer le problème le plus profond dans toute cette mécanique amérindienne: Où voulons-nous aller? Que voulons-nous transporter? Quels voyages voulons-nous faire ensemble?

Est-ce qu’on embraye un peu? Au début des années 1990, c’était Davis Inlet. Vous vous souvenez de Davis Inlet? Moi non plus. C’est nulle part, Davis Inlet. C’est plus loin que le Laos et je vous gage drette là que plus de Canadiens ont visité Luang Prabang que Davis Inlet. Davis Inlet, comme tous les lieux où vivent les Amérindiens, même quand c’est à côté, c’est toujours plus loin que le Laos. C’est toujours un peu nulle part, si bien qu’on n’y va jamais. On se contente des cartes postales d’enfants morts d’avoir sniffé de l’essence. Ça nous fait des souvenirs à oublier.

Idle No MoreCe n’est pas le slogan d’une cause amérindienne. Ça veut dire: «Pèse su’l gaz, le gros, parce que c’est encore loin…» 

 

Source Voir Montréal  

Plus sur Simon Jodoin 

 

 

19/01/2013

Discours à la jeunesse / Jean Jaurès 1903

 Discours à la jeunesse, Albi 1903

Au cours de sa carrière universitaire et politique, Jaurès prononça plusieurs discours de distribution des prix. Celui-ci est non seulement le plus célèbre d’entre eux, mais aussi le texte le plus connu et le plus fréquemment cité de Jaurès. La cérémonie a lieu le 30 juillet 1903, Jaurès s’adresse aux élèves du lycée d’Albi, où il a lui-même été élève, puis professeur quelques décennies plus tôt. Il est alors un personnage officiel : député socialiste de Carmaux certes, mais aussi vice-président de la Chambre des députés et personnage clef de la majorité parlementaire. On le surnomme “ le ministre de la Parole ” ou le “ Saint-Jean Bouche d’Or ” du gouvernement Combes qui mène une vigoureuse politique anticléricale et d’action républicaine dont l’issue sera le 9 décembre 1905 le vote de la loi de séparation des Églises et de l’État

(présentation de Gilles Candar)              




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Jean Jaurès, 1859-1914, homme politique, orateur et parlementaire socialiste, il s’est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. 



Mesdames, Messieurs, Jeunes élèves,

 
C’est une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée d’Albi et d’y reprendre un instant la parole….

… Ce qui reste vrai, à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, c’est qu’il faut faire un large crédit à la nature humaine ; c’est qu’on se condamne soi-même à ne pas comprendre l’humanité, si on n’a pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables. 

Cette confiance n’est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle n’ignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des individus, égoïsme des castes, égoïsme des partis, égoïsme des classes, qui appesantissent la marche de l’homme, et absorbent souvent le cours du fleuve en un tourbillon trouble et sanglant. Elle sait que les forces bonnes, les forces de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps, et que la nuit de la servitude et de l’ignorance n’est pas dissipée par une illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série d’aurores incertaines.       


Oui, les hommes qui ont confiance en l’homme savent cela. Ils sont résignés d’avance à ne voir qu’une réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera dépassé …

… Et ils affirment, avec une certitude qui ne fléchit pas, qu’il vaut la peine de penser et d’agir, que l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.       

Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. …

C’est pour elle que ces hommes combattirent et moururent. C’est en son nom qu’ils refoulèrent les rois de l’Europe. C’est en son nom qu’ils se décimèrent. Et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant d’actes et tant de pensées qu’on put croire que cette République toute neuve, sans modèles comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles.
 ….
Et voici maintenant que cette République, qui dépassait de si haut l’expérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée que, quand elle tomba, ses ruines mêmes périrent et son souvenir s’effrita, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et d’universelle dignité humaine, qui n’avait pas eu de modèle et qui semblait destinée à n’avoir pas de lendemain, est devenue la loi durable de la nation, la forme définitive de la vie française, le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde.     

Nombreux sont les glissements et nombreuses les chutes sur les escarpements qui mènent aux cimes ; mais les sommets ont une force attirante. La République a vaincu parce qu’elle est dans la direction des hauteurs, et que l’homme ne peut s’élever sans monter vers elle. La loi de la pesanteur n’agit pas souverainement sur les sociétés humaines, et ce n’est pas dans les lieux bas qu’elles trouvent leur équilibre. Ceux qui, depuis un siècle, ont mis très haut leur idéal ont été justifiés par l’histoire.   
...
Et ceux-là aussi seront justifiés qui le placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que
ce n’est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c’est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu’il faut faire entrer la liberté vraie, l’égalité, la justice. Ce n’est pas seulement la cité, c’est l’atelier, c’est le travail, c’est la production, c’est la propriété qu’il veut organiser selon le type républicain. À un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée.       
…..
Je veux seulement dire deux choses, parce quelles touchent non au fond du problème, mais à la méthode de l’esprit et à la conduite de la pensée. D’abord, envers une idée audacieuse qui doit ébranler tant d’intérêts et tant d’habitudes et qui prétend renouveler le fond même de la vie, vous avez le droit d’être exigeants. Vous avez le droit de lui demander de faire ses preuves, c’est-à-dire d’établir avec précision comment elle se rattache à toute l’évolution politique et sociale, et comment elle peut s’y insérer. Vous avez le droit de lui demander par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de l’ordre existant à l’ordre nouveau. Vous avez le droit d’exiger d’elle que les premières applications qui en peuvent être faites ajoutent à la vitalité économique et morale de la nation. Et il faut qu’elle prouve, en se montrant capable de défendre ce qu’il y a déjà de noble et de bon dans le patrimoine humain, qu’elle ne vient pas le gaspiller, mais l’agrandir. Elle aurait bien peu de foi en elle-même si elle n’acceptait pas ces conditions.

En revanche, vous, vous lui devez de l’étudier d’un esprit libre, qui ne se laisse troubler par aucun intérêt de classe. Vous lui devez de ne pas lui opposer ces railleries frivoles, ces affolements aveugles ou prémédités et ce parti pris de négation ironique ou brutale que si souvent, depuis un siècle même, les sages opposèrent à la République, maintenant acceptée de tous, au moins en sa forme.
Et si vous êtes tentés de dire encore qu’il ne faut pas s’attarder à examiner ou à discuter des songes, regardez en un de vos faubourgs ? Que de railleries, que de prophéties sinistres sur l’œuvre qui est là ! Que de lugubres pronostics opposés aux ouvriers qui prétendaient se diriger eux-mêmes, essayer dans une grande industrie la forme de la propriété collective et la vertu de la libre discipline ! L’œuvre a duré pourtant ; elle a grandi : elle permet d’entrevoir ce que peut donner la coopération collectiviste. Humble bourgeon à coup sûr, mais qui atteste le travail de la sève, la lente montée des idées nouvelles, la puissance de transformation de la vie. Rien n’est plus menteur que le vieil adage pessimiste et réactionnaire de l’Ecclésiaste désabusé : “ Il n’y rien de nouveau sous le soleil ”. Le soleil lui-même a été jadis une nouveauté, et la terre fut une nouveauté, et l’homme fut une nouveauté. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création.    

C’est donc d’un esprit libre aussi que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s’annonce par des symptômes multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive…. un jour vient, et tout nous signifie qu’il est proche, où l’humanité est assez organisée, assez maîtresse d’elle-même pour pouvoir résoudre, par la raison, la négociation et le droit, les conflits de ses groupements et de ses forces.         
 …

 

La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif. 

…  Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades d’où peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi qu’il y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, qu’il dépend de vous, par une volonté consciente, délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine. Œuvre difficile, mais non plus œuvre impossible.
Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales d’ordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève.         

…  Mais d’abord, mais avant tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de haine où les revendications même justes provoquent des représailles qui se flattent de l’être, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans issue et sans fin, où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante, ne se discernent presque plus l’un de l’autre, et où l’humanité déchirée pleure de la victoire de la justice presque autant que de sa défaite.      

… L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication. Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action. Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues. Le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu’aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes. Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques...

 
la version intégrale est publiée dans : Jean Jaurès, Textes choisies, Encyclopédie du socialisme, 127 p, 7,50 euros (commande à Encyclopédie du socialisme, 86, rue de Lille, 75007 Paris) 

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