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14/05/2013

L’arnaque monétaire internationale ou la face cachée de la mondialisation / Crazy Horse (Agoravox) 2008



« Par essence, la création monétaire ex nihilo* que pratiquent les banques est semblable,
je n’hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici,
à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement réprimée par la loi. »
(Maurice Allais - 1999)

 

 

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Crazy Horse, citoyen du monde et membre de la grande fraternité humaine, poursuit son développement intellectuel et spirituel sans prétention. Sa devise : "Contentez-vous de vous améliorer. C'est tout ce que vous pouvez faire pour améliorer le monde" (L. Wittgenstein).

 

 

A l’heure où l’on nous rabâche à longueur de temps le problème de la dette publique, qui sert à justifier les réformes liberticides et anti-socialistes que notre cher gouvernement fait passer avec plus ou moins de tact, il importe de se poser la question : Comment un État souverain peut-il devoir plus de 1 000 milliards d’euros à différents créanciers ? Lorsque tous les « experts » jurent que la relance de la croissance résoudra tous nos maux en diminuant le chômage et en augmentant notre pouvoir d’achat, il est bon de s’interroger sur les fondements de telles assertions. Quand, enfin, notre modèle de société se caractérise par le flot toujours croissant de monnaie en circulation, il serait sage de se demander : qu’est-ce donc que cette monnaie et d’où vient-elle ? Cet article a pour but de dissiper certaines idées reçues et de vous éclairer sur certaines réalités habilement dissimulées par une oligarchie de la finance prétentieuse, peu scrupuleuse, avide de pouvoir et de richesse...

 

I - La monnaie n’est pas créée par l’État

 

Depuis la nuit des temps, aussi vertueux soient-ils au départ, tous les hommes au pouvoir changent et finissent par abuser de ce pouvoir s’ils restent longtemps au pouvoir.

Contrairement à une idée largement répandue dans le public, la monnaie n’est pas créée par un organisme de l’État (autrement dit du peuple).

En effet, depuis le 1er janvier 1999, la Banque centrale européenne (BCE) s’est vu transférer les compétences des Banques centrales nationales (BCN) des États membres. La BCE et les BCN devenues ses sous-traitants forment le Système européen de Banques centrales (SEBC).

La BCE a le monopole d’émission de la monnaie fiduciaire, autrement dit des pièces et des billets de banque. C’est une institution indépendante selon le traité de Maastricht et elle ne peut en aucun cas accorder un découvert ni aucune autre forme de crédit « aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publiques des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite » (article 104).

« L’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix ». Et : « Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l’article 2 » (article 105, paragraphe 1, du Traité). La Communauté se donne pour objectifs d’obtenir un niveau d’emploi élevé et une croissance durable et non inflationniste (article 2 du Traité sur l’Union européenne).

Autrement dit, l’État français doit financer son déficit en vendant aux organismes privés et à quelques riches investisseurs des bons au trésor. Il s’agit ni plus ni moins de prêts remboursables à plus ou moins long terme et auxquels sont associés des intérêts comme pour n’importe quel prêt contracté par une entreprise ou un particulier. Les détenteurs de ces bons au trésor sont donc les créanciers de l’État.

 

II - Le processus de création monétaire

 

Comme on l’a dit au point précédent, la BCE a le monopole d’émission de la monnaie fiduciaire. Or, on sait bien qu’aujourd’hui la plus grande partie des transactions s’effectuent en monnaie scripturale (chèques, carte bleue, virements, etc.) qui est la forme dématérialisée de la monnaie. En 2006, par exemple, il y avait 7 387 milliards d’euros en circulation (agrégat M3 - bulletin n° 153 de la Banque de France, septembre 2006) dont seulement 552 milliards d’euros de pièces et de billets.

Mais alors comment sont créés les 6 835 milliards d’euros de monnaie supplémentaire ?

Ce sont les banques privées qui créent cet argent par l’intermédiaire du crédit. Certains feront appel ici à une deuxième idée reçue pour se rassurer : « c’est l’épargne qui permet le crédit ».

Malheureusement non, le crédit n’est nullement limité par la valeur des dépôts effectifs dans une banque, comme on pouvait le lire dans un opuscule édité en 1971 par la Banque de France, La Monnaie et la Politique monétaire : « Les particuliers - même paraît-il certains banquiers - ont du mal à comprendre que les banques aient le pouvoir de créer de la monnaie ! Pour eux, une banque est un endroit où ils déposent de l’argent en compte et c’est ce dépôt qui permettrait à la banque de consentir un crédit à un autre client. Les dépôts permettraient les crédits. Or, cette vue n’est pas conforme à la réalité, car ce sont les crédits qui font les dépôts ».

Alors, comment ça se passe ?

Disons que vous avez besoin de 15.000 euros pour acheter une nouvelle voiture. Vous allez voir votre banquier qui n’a qu’à inscrire la somme sur votre compte, après vous avoir fait signer quelques papiers, vous engageant à lui rembourser le capital qu’il vous a prêté plus les intérêts convenus sous peine de saisie de vos biens. La monnaie est créée par un simple jeu d’écriture. Le banquier porte à l’actif de son bilan une créance de 15.000 euros et au passif les 15.000 euros qu’il vient de mettre sur votre compte.

Vous pouvez noter que le banquier n’a pas créé les intérêts qu’il vous demande de payer, comme nous le verrons plus loin. Si vous parvenez à rembourser votre prêt, les 15.000 euros disparaîtront de la masse monétaire. C’est pourquoi on qualifie ce type de monnaie de temporaire ou encore de « monnaie de crédit ». Seuls resteront les intérêts que vous aurez versés (souvent équivalents voire bien supérieurs au montant emprunté) et qui représentent la rémunération du banquier pour avoir créé de l’argent à partir de rien. Incroyable mais vrai, désolé.

La seule chose qui permette de limiter l’octroi par les banques de ce type de crédit est une règle prudentielle qui dit qu’une banque ne peut prêter qu’à hauteur de 98% des dépôts qu’elle détient. Mais il faut savoir que parmi ces dépôts une bonne partie provient de crédits accordés par d’autres banques à leurs clients, selon le même procédé douteux décrit ci-dessus.

 

III - Le problème des intérêts

 

Nous avons expliqué que la monnaie n’existait aujourd’hui que sous forme de crédit et donc de dettes. Ni l’euro ni le dollar ne sont gagés sur l’or.

Imaginez un instant que tous les citoyens du monde, las de toutes leurs dettes, décident de les régler toutes en même temps. Eh bien, on peut en déduire alors qu’il n’y aurait plus de monnaie du tout !

En réalité, et c’est ça le plus incroyable, il est impossible de régler toutes les dettes puisque aucune banque n’a créé la monnaie nécessaire pour régler les intérêts demandés...

Commencez-vous à comprendre ?

Il est mathématiquement impossible de payer toutes les dettes car pour cela il faudrait plus de monnaie qu’il n’en a été mis en circulation ! Voilà la vraie raison d’être de la doctrine de la croissance. Nous devons créer toujours plus de crédits afin de pouvoir rembourser les intérêts. Mais en créant ces crédits nous engendrons de nouveaux intérêts qu’il faudra payer en faisant de nouveaux crédits et ainsi de suite. C’est une spirale sans fin...

L’intérêt est la cause principale de l’inflation, puisque avec un crédit à 5 % par an par exemple, c’est le double de la somme empruntée qui doit être remboursée sur quinze ans, par le jeu des intérêts composés.

L’intérêt est le premier responsable de la pauvreté dans le monde et de l’élargissement de la fracture sociale. Sachez que les prix que vous payez sont constitués à 40-45 % du seul poids des intérêts, comme l’ont mis en évidence dans leurs études Magrit Kennedy et Ralph Becker (vraisemblablement 30-40 % aujourd’hui), vous pouvez imaginer la somme colossale qui est transférée du monde de l’économie réelle au monde financier.

A l’origine les intérêts servaient à rémunérer les épargnants dont les dépôts permettaient d’effectuer les prêts, le banquier se payant grâce à la différence des taux. Mais, dans le contexte actuel, étant donné la façon dont la monnaie est créée, cela n’est plus justifié.

La société civile doit prendre conscience de cette situation aberrante, étudier sérieusement la question et réclamer la fin de ces privilèges absurdes.

Plus le temps passe et plus la finance internationale, avec un cynisme effrayant, s’accapare les vraies richesses du monde (les réserves minières, l’eau, la terre, les biens immobiliers et, depuis peu, les êtres vivants...) qu’elle achète avec de la monnaie de singe !

Jefferson nous aurait-il prévenus ?

« Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. [...] Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, d’abord par l’inflation, ensuite par la déflation, ces banques et toutes les institutions qui fleuriront autour d’elles, dépouilleront les gens de tout ce qu’ils possèdent, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquise. »

“I believe that banking institutions are more dangerous to our liberties than standing armies. [...] If the American people ever allow private banks to control the issue of their currency, first by inflation, then by deflation, the banks and corporations that will grow up around the banks will deprive the people of all property until their children wake-up homeless on the continent their fathers conquered. The issuing power should be taken from the banks and restored to the people, to whom it properly belongs.” (Thomas Jefferson, 3e président des États-Unis, lettre au secrétaire du Trésor le genevois Albert Gallatin - 1802.)

L’authenticité de cette citation attribuée à Thomas Jefferson est sujette à caution, et pourrait être l’amusant résultat d’un assemblage. Ce qui est certain, c’est qu’en 1816, Jefferson a écrit à John Taylor :

“And I sincerely believe, with you, that banking establishments are more dangerous than standing armies; and that the principle of spending money to be paid by posterity, under the name of funding, is but swindling futurity on a large scale.”

En 1813, Jefferson a également dit à propos des banques 

“The States should be applied to, to transfer the right of issuing circulating paper to Congress exclusively, in perpetuum, if possible...”

 

IV - Que peut-on faire ?

 

Pour commencer, il faudrait faire l’effort de comprendre. Les économistes prétendument experts ont bon ton de dire que tout cela est tellement compliqué qu’un non-initié ne saurait s’y retrouver. C’est une façon de dissimuler ce qui se cache derrière ce système économique d’un autre âge. Il nous faut une refonte du système économique.

Et, pour commencer, les citoyens doivent reprendre le pouvoir de création monétaire, cédé par nos « représentants » aux puissances financières alors que la monnaie est et doit rester au service du peuple. La quantité d’argent injecté dans l’économie doit être proportionnelle à l’indice de croissance, qui correspond à la valeur cumulée des biens et services échangeables dans la zone concernée. Actuellement seulement 5 % des transactions mondiales correspondent à l’échange de biens économiques réel. Le reste correspond à la spéculation boursière...

Selon A.-J. Holbecq : « Toute la monnaie nécessaire au développement de l’économie doit être produite par la BCE et confiée contre intérêts aux banques commerciales qui la distribueront aux emprunteurs en faisant payer leur travail et expertise par des honoraires. Et tous les intérêts de toute la monnaie créée dans le passé par les banques commerciales et par la BCE doivent revenir aux États de la zone euro et donc à la population... C’est certainement plus de 350 milliards d’euros par an ».

Un nouveau krach planétaire surviendra bientôt en raison de la chute programmée du cours du dollar qui, je le rappelle, sert actuellement de monnaie de réserve internationale. Ce sera le moment d’exiger de nos élus une refonte complète du système monétaire pour qu’il soit vraiment au service de l’économie et non plus l’instrument de pouvoir d’une minorité de nantis.

La démocratie restera un vœu pieu si les citoyens se laissent désinformer.

Prenez votre destin en main : informez-vous !

La liberté est à ce prix...

 

Références : Maurice Allais, Irving Fisher, J.-M. Harribey, Denis Clerc, A.-J. Holbecq entre autres... Merci à l’équipe de fauxmonnayeurs.org à qui j’ai emprunté quelques passages. Un grand merci à A.-J. Holbecq pour ses commentaires éclairés.

 

 

Source http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/l-arna...



12/05/2013

la sortie du capitalisme / André Gorz 2008

 note de lecture de  Fabien Ferri

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André Gorz, 1923-2007, philosophe et journaliste français

 

La publication en 2008 d’Écologica, l’œuvre ultime d’André Gorz, nous offre une mise en perspective de sa pensée en nous présentant des textes écrits entre 1975 et 2007. Ce recueil permet ainsi d’avoir une idée de la trajectoire intellectuelle qu’il a suivie durant sa période de maturité [1]. À des articles originellement publiés dans diverses revues – comprenant deux entretiens de 2005 dont un retranscrit pour EcoRev, faisant office d’introduction – s’adjoignent des passages extraits d’œuvres antérieures : c’est notamment le cas des chapitres III et IV, respectivement repris d’Écologie et politique et Adieux au prolétariat [2]

Sans emphase ni prophétisme, avec le ton d’un pessimiste aguerri, Gorz a présagé avec une grande clairvoyance le devenir de notre monde comme un engouffrement dans la catastrophe économique et écologique. Sur le plan économique, on est frappé par la pertinence des analyses et des anticipations de l’auteur au regard de la très grave crise financière qui a explosé à l’automne 2008 et dont nous n’avons pas fini de subir les conséquences. Dès le début du livre, Gorz nous permet immédiatement de comprendre la logique qui préside à la crise du système capitaliste dont nous faisons l’expérience. Il nous conduit ainsi à imaginer les conséquences planétaires auxquelles nous expose à terme cette logique, nous contraignant alors intelligemment à penser le problème urgent face auquel nous nous trouvons : celui de la survie de notre planète dans les décennies à venir. Ce texte est donc le diagnostic d’une époque qui est la nôtre, et l’ordonnance de la médication qu’il faut nécessairement lui prescrire pour la sauver. Il est donc d’une vive actualité et d’une importance cruciale pour trois raisons : d’abord parce qu’il pose un constat clair des impasses du capitalismes, impasses économiques et écologiques, ensuite parce qu’il envisage des réponses tant politiques qu’éthiques qui permettent d’éviter un tel avenir. Ce qui pour Gorz implique concrètement de mettre en œuvre une écologie politique qui privilégie la décroissance.

Impasses du capitalisme

Le capitalisme désigne selon Gorz le système économique dans lequel règne la loi du capital, c’est-à-dire celle de la reproduction du profit par n’importe quel moyen et sous quelque forme que ce soit – reproduction au fondement de son accumulation – et où n’a de valeur que ce qui est susceptible de devenir marchandise. Il implique donc un mode de fonctionnement dans lequel l’accumulation du capital est potentiellement fondée sur l’exploitation et où l’exploitation est elle-même rendue possible par la marchandisation du travail humain. Il induit donc le tout-marchand comme la forme unique de toute société et le tout-marchandise comme la forme exclusive de tout rapport social.

Dans le premier chapitre, l’auteur met au jour la logique ayant conduit le capitalisme à des limites –tant internes qu’externes– limites qui, une fois atteintes, comme c’est actuellement le cas, ont pour conséquence irréversible de ne plus lui permettre de se reproduire. L’avènement de la crise dans laquelle le système est actuellement plongé a été accéléré à partir du moment où le capitalisme est entré dans un régime d’industrie financière. L’économie réelle a dès lors peu à peu été subordonnée à une économie

fictive alimentée par la capitalisation des anticipations de profit et de croissance : elle est ainsi devenue un appendice des bulles financières, c’est-à-dire une preuve de l’incapacité pour le capitalisme à se reproduire sans le recours aux artifices de la spéculation. Corrélativement, le maintien de ce système économique ne fait qu’accélérer l’échéance d’une catastrophe écologique dont les conséquences seront irréversibles : sans une rupture radicale avec les méthodes et la logique économique qui le gouvernent, le capitalisme conduira à une catastrophe climatique dans les cinquante prochaines années. Ces limites –tant économiques qu’écologiques– ont été atteintes à l’issue d’un processus de rationalisation technoscientifique généralisé de la production, qui conduit actuellement à penser la décroissance (au moins comme manière de cesser d’anticiper la croissance) comme le seul impératif à suivre pour espérer la survie de notre planète. C’est pourquoi la sortie du capitalisme, barbare ou civilisée, s’impose comme un phénomène nécessaire. Ainsi se posent simultanément le problème de l’effondrement du capitalisme et la question de la possibilité de la venue d’un autre système économique et social.

Sortir du capitalisme

Pour Gorz, la sortie du capitalisme doit être écologique, d’où l’étude de la question de l’écologie politique dans le second chapitre. Comme le souligne l’auteur, il importe de distinguer l’écologie scientifique de l’écologie politique pour ne pas déduire les démarches mises en œuvre par la seconde comme des conséquences nécessaires dérivant des analyses de la première. Une telle distinction est capitale, puisqu’elle permet de déconstruire le sophisme idéologique du matérialisme dialectique (dogmatique) consistant à imposer des pratiques politiques déterminées en leur donnant le statut de nécessités scientifiques démontrées (qui permettent donc de légitimer ces pratiques). Penser les rapports entre écologie scientifique et écologie politique est actuellement décisif car il importe de penser l’interaction de l’espèce humaine (essentiellement dans la dimension de son activité industrielle, puisque c’est elle qui pose le plus de problèmes écologiques) avec l’écosystème terrestre, dans la mesure où l’emprise de plus en plus étendue de la technique sur la nature tend à perturber la capacité naturelle qu’a l’écosystème de s’auto-organiser et de s’autoréguler. Le problème étant que l’intégration des contraintes écologiques dans le cadre de l’industrialisme et de la logique du marché propres au capitalisme a pour conséquence de substituer à l’autonomie du politique (qui normalement laisse place à l’expérience de la liberté politique des individus par l’exercice du jugement de chacun dans la délibération collective) une expertocratie (qui place dans les mains de la sphère de l’Etat et d’une minorité d’experts l’examen et la détermination du contenu de l’intérêt général).

Tel est donc le problème de la démocratie selon Gorz : traduire les nécessités objectives qu’exige la préservation de l’écosystème en conduites normatives qu’exige un rapport respectueux à la nature et à l’environnement dans lesquels nous vivons, sans pour autant sacrifier une dimension ouverte à la délibération politique.

L’écologie, avant de devenir l’étude scientifique de l’écosystème terrestre (écologie scientifique) ou un programme politique de préservation de la nature (écologie politique) a toujours été, selon Gorz, l’expression d’une culture et d’une philosophie du quotidien spontanément dirigée contre l’impérialisme des appareils techniques, économiques et administratifs sur toutes les dimensions de la vie humaine, parce qu’il

nie cette forme de vie dans laquelle l’homme se développe et se reconnaît comme une partie intégrante d’un milieu naturel. L’écologie est donc un naturalisme particulier qui renvoie en son sens le plus originel à la défense d’un monde vécu où l’homme et la nature ne sont pas séparés, où la nature n’apparaît pas à l’homme comme une réalité devenue étrangère. Pour Gorz, elle a toujours d’abord signifié la forme de rapport au monde la plus primitive et la plus intuitive au sein d’une nature, une attitude de confiance, d’intelligence et de connivence avec une nature déjà là, mais que nous tendons malheureusement à perdre de vue à mesure que la domination des appareils se fait plus omniprésente, et la transformation de la nature, plus irréversible. Le troisième chapitre, intitulé « L’idéologie sociale de la bagnole », illustre ce phénomène. Il porte sur l’analyse d’un objet qui a envahi notre quotidien et ne cesse d’être omniprésent dans l’environnement de nos sociétés modernes : à savoir l’automobile.

Une défense de la décroissance

Le quatrième chapitre montre qu’à la croissance destructive, il faut substituer la décroissance productive : car seule la décroissance peut être productive en terme écologique, autrement dit productive d’une meilleure qualité de vie, puisqu’elle seule peut être en mesure de limiter le gaspillage, c’est-à-dire « satisfaire le plus possible de besoins avec le moins possible de travail, de capital et de ressources physiques ». En effet depuis le début des années 1960 l’accroissement de la production a été motivé par l’intérêt qu’il y avait à favoriser la consommation pour l’enrichissement du capital. Pour accélérer et accroître cette consommation des usagers, des stratégies marketing et commerciales ont donc été mises en place : elles consistaient à baisser artificiellement la durée de vie des produits pour faire de la consommation une nécessité artificielle dépassant les besoins naturels normaux, nous faisant entrer dans l’ère du gaspillage, gaspillage qui permit et permet encore la rentabilité des capitaux en contraignant les consommateurs à acheter un volume de biens quantitativement plus grand pour une valeur d’usage qualitativement semblable. Si bien que nous nous trouvons actuellement face à ce paradoxe : ce n’est plus la production qui est au service des consommateurs, ce sont les consommateurs qui sont au service de la production. Mais Gorz a bien conscience dans le cinquième chapitre que la mise en œuvre de la décroissance est extrêmement difficile : car au meilleur des cas elle provoquerait une violente dépression économique, et au pire, l’effondrement du système bancaire mondial.

Politique et morale de l’écologie

L’écologie a donc une dimension éthico-politique. Politique d’une part, non pas en tant que théorie positive, mais en tant que théorie réactive à un système économique – le capitalisme – dont la logique a pour conséquence actuelle la dévastation de la Terre, et à terme, la destruction de la planète : l’écologie politique est donc essentiellement une théorie critique qui combat les conséquences du mode de production capitaliste. D’autre part, elle a une dimension éthique, puisqu’elle vise l’émancipation des hommes (face au phénomène de l’aliénation au travail) et la libération de la nature (face au phénomène planétaire de la violation impliquée par la surexploitation de ses ressources) en cherchant les moyens qui leur permettent de s’affranchir de la domination du dispositif technico-mondial (les immenses technologies), conséquence globale de l’extension du mode de production capitaliste dans le temps comme dans l’espace. Pour l’auteur, l’écologie politique, comme issue de secours permettant le

salut de l’humanité tout entière face aux impasses du capitalisme, tire son modèle de l’économie de la connaissance caractéristique des sociétés modernes avancées, dont l’existence a été rendu possible par l’avènement de ce que Gorz a appelé, dans la lignée d’Ivan Illich, des « technologies ouvertes », c’est-à-dire des technologies « qui favorisent la communication, la coopération, l’interaction », comme les réseaux et les logiciels libres, cet aspect n’est sans doute pas le plus approfondi de l’ouvrage, et on peut le regretter. Mais, avant d’être une excellente introduction à l’écologie politique, Ecologica, traité anticapitaliste fondé en raison, constitue donc le manifeste d’un humanisme et d’un naturalisme exemplaires.

 

André Gorz, Ecologica, Galilée, 2008.  /  

 

Source : Mouvements, le 11 juillet 2011. http://www.mouvements.info/Ecologica-la-sortie-du-capital...

 

 

 

05/05/2013

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