25/03/2016
Les Fous / Cathy Garcia
Les Fous
Il existe sur cette terre un peuple dont on ne parle jamais mais ils se reconnaissent entre eux ; ils s’aiment ou se haïssent mais surtout sans cesse, ils se renvoient la même question, la seule à leurs yeux qui mérite d’être posée. Ils cherchent, cherchent sans répit, sinon quelques plages de mensonges et certaines formes d’oubli. Cette question murmurée, implorée, chantée, hurlée, ils s’en frappent la tête. Ils s’en mettent le cœur à vif. Ils la boivent tel un vin rare, se saoulent et se régénèrent, la perdent pour mieux la retrouver jusqu’au bout des nuits blanches, des journées sans soleil. Ils la décortiquent, l’aspirent, la crachent et l’offrent parfois sans calcul comme un bouquet de fleurs à une âme de passage.
Certains disent qu’ils sont fous. Et alors ?
Il en faut des fous pour exorciser nos démons, pour donner corps à nos monstres et nous permettre de dormir en paix ! Il en faut des fous pour se mettre à nu et se poignarder avec tous nos pieux mensonges ! Il en faut des fous pour se lancer dans ce vide que nous n’affrontons pas même du regard. Il en faut des fous pour aller décrocher les étoiles qui brillent derrière nos paupières cousues.
Il en faut des fous pour accoucher le monde !
Fous ! Les fous battent la campagne et la breloque !
Fous ! désaxés ! détraqués ! dérangés !
Siphonnés, piqués, cinglés, timbrés, cintrés!
Mabouls, marteaux ! Toqués, tapés ! Tordus, toc-toc,
Cinoques, louftingues, dingues loufoques !
Z’ont perdu la raison,
La boule et la boussole,
Une araignée au plafond,
Mais qu’importe Monsieur,
Les fous travaillent et pas qu’un peu
Les fous travaillent du chapeau !
Les fourres tout
Les foutrement gais
Les inspirés
Chercheurs de vérité
Fous téméraires
Et foutu bordel !
Les fous à lier
Les fous de liberté
Les fous d’amour
Les fous de bonheur
Les fous de joie
Les fous de rire
Les fous des bois
Fous de toi
Et fous au galop
Les fous échappés du jeu de tarot
Les fous en marche
Sur l’échiquier
Il y a aussi les foutez-moi la paix
Les foutez-vous de ma gueule
Et tous ces fous qui en veulent
Il y a les vieux fous sans lendemain
Les fous qui combattent les moulins
Les fous parlent à leur chien
Les fous respectent la terre
Les fous donnent tout
Les fous ne mentent pas
Les fous flânent en chemin
Nourrissent les oiseaux
Les fous pleurent
La mort d’une fleur
Les fous se rient des frontières
Les fous traversent les déserts
Gravissent les montagnes
Franchissent les mers
À la nage ou à la rame
Les fous disent paix et tolérance
Brûlent leur carte d’identité
Pour être sans-papier
Refusent de s’alimenter
Parce que d’autres sont affamés
Les fous ne ferment jamais leur porte à clé
Les fous vivent dans les arbres
Les fous sèment des jardins
Les fous se couchent au sol
Devant les tanks les bulldozers
Il y a des fous qui aiment tellement les animaux qu’ils ne les mangent pas
Il y a les fous qui balaient devant leurs pas
pour ne pas écraser les fourmis
Les fous parlent d’amour quand on leur fait la guerre
Les fous pardonnent à leurs tortionnaires
Les fous luttent, résistent, inventent
Aiment et cultivent la différence
Les fous vivent leurs idéaux
Les fous crachent des poèmes
Sur les façades des cités
Les fous refusent télé, supermarchés
Refusent d’être vaccinés, pucés
S’entêtent à ne pas se résigner
Les fous un jour partent
Sans se retourner
Les fous voyagent à pied
À dos d’ânes, en roulottes
Il y a des fous qui vont dans une grotte
Méditer pendant des années
Il y a des fous qui peuvent
Se passer d’électricité
Les fous font de leurs rêves une réalité
Les fous s’aiment malgré tout
Les fous refusent le garde à vous
Les fous croient en la justice
Et pensent pouvoir changer le monde
Mais les fous craignent les fous
Les fous vraiment malades
Les fous nocifs, les fous dangereux
Les foutez-les dehors
Les fous qui veulent rester entre eux
Les fous offensifs
Führers et fous sanguinaires
Des fous pervers Fous du violent
Foudre de guerre Fous psychopathes
Et fous de la gâchette
Des fous furieux
Des fous maniaques
Des fous avides
Des fouilles-merde
Des fous stupides
Fous des grandeurs
Fous persécuteurs Fous délirants
Fous paranoïaques
Et fous de la matraque
Des fous forcenés
Fous d’odieux
Des fous banquiers
Fous scientifiques
Fous fanatiques
Des fous déguisés en flic
Fous de fric de pouvoir
Des fous politicards
Fous qui veulent tout diriger
Fous qui veulent tout acheter
Y’a pas pire fous que ceux-là.
Fous qui pensent qu’ils n’en sont pas
Et qui proclament :
Est fou celui qui ne pense pas comme nous…
Est fou celui qui n’est pas comme nous…
Et ils enferment, détruisent, asservissent et assassinent.
Monde foutu par ceux-là ?
Planète foutue par ces fous ci ?
Plutôt fou-rire !
cg, in Follement autre
08:24 Publié dans culture, oppression | Lien permanent | Commentaires (0)
07/03/2016
Mère Nature
08:11 Publié dans écologie | Lien permanent | Commentaires (0)
10/01/2016
2007-2015: une si longue récession / Thomas Piketty
En ce début d'année 2016, il n'est pas inutile de faire le point sur la situation économique de la zone euro, sur la base des dernières données publiées par Eurostat. Cela permettra également de répondre à plusieurs questions posées par les internautes à la suite de ma chronique "Changer l'Europe, maintenant".
Commençons par comparer la situation des pays de la zone euro, considérés globalement, à celle des Etats-Unis.
On constate tout d'abord que la "grande récession" de 2007-2009, provoquée initialement par la crise américaine des subprimes et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, a eu approximativement la même ampleur en Europe et aux Etats-Unis. Des deux côtés de l'Atlantique, le niveau d'activité économique chute d'environ 5% entre fin 2007 et début 2009, ce qui en fait la plus grave récession mondiale depuis la crise des années 1930.
La reprise commence courant 2009, et le niveau d'activité retrouve fin 2010-début 2011 quasiment le même niveau que celui de fin 2007. C'est alors que se produit en 2011-2013 une nouvelle rechute de l'activité en zone euro, alors que la reprise se poursuit tranquillement aux Etats-Unis. La croissance finit par reprendre timidement au début de l'année 2013 en Europe, mais le mal est fait: à la fin de l'année 2015, le PIB de la zone euro n'a toujours pas dépassé son niveau de fin 2007, alors que les Etats-Unis ont connu une croissance cumulée de plus de 10% entre 2007 et 2015. Compte tenu de la croissance de la population, lente mais positive, notamment en France, il ne fait aucun doute que le niveau de PIB par habitant en zone euro sera en 2016-2017 inférieur à ce qu'il était en 2007. Une décennie perdue, en quelque sorte: du jamais vu depuis la Seconde guerre mondiale.
Les raisons de la rechute européenne de 2011-2013 sont maintenant bien connues: alors que les Etats-Unis ont fait preuve d'une relative souplesse budgétaire afin de maintenir le cap sur la croissance, les pays de la zone euro ont tenté de réduire les déficits trop vite en 2011-2013, avec en particulier de trop lourdes augmentations d'impôt en France, ce qui a conduit à casser la reprise et à la montée du chômage, et pour finir des déficits et de l'endettement public que l'on prétendait vouloir réduire.
Pourquoi les Européens se sont-ils si mal coordonnés, transformant ainsi une crise venue du secteur financier privé américain en une crise européenne durable de la dette publique? Sans doute parce que les institutions de la zone euro n'étaient pas conçues pour faire face à une telle tempête. Une monnaie unique avec 19 dettes publiques différentes, 19 taux d'intérêt sur lesquels les marchés peuvent librement spéculer, 19 impôts sur les sociétés en concurrence débridée les uns avec les autres, sans socle social et éducatif commun, cela ne peut pas marcher. Sans doute aussi surtout parce que la montée des égoïsmes nationaux a empêché les Européens d'adapter leurs institutions et leurs politiques. Concrètement, quand les marchés financiers ont commencé à spéculer sur la dette des pays d'Europe du Sud, à partir de 2010-2011, l'Allemagne et la France ont au contraire bénéficié de taux d'intérêt historiquement bas, et se sont lavés les mains du fait que le sud de la zone s'enfonçait dans la récession.
De ce point de vue, le graphique suivant est édifiant:
On constate que la moyenne de la zone euro cache des réalités très différentes entre les pays de la zone. Alors que l'Allemagne et la France s'en sont relativement mieux sortis (avec tout de même un retard de croissance sensible sur les Etats-Unis), la cure d'austérité, l'explosion des taux d'intérêt et la crise de défiance dans le secteur financier ont fait des ravages en Italie, en Espagne et au Portugal.
Le cas le plus extrême est bien sûr celui de la Grèce, dont le niveau d'activité économique est encore aujourd'hui un quart plus faible que ce qu'il était en 2007:
Que faire aujourd'hui? Je ne reprendrai pas ici les arguments développés dans "Changer l'Europe, maintenant": conférence des pays de la zone euro pour décider d'un moratoire sur les repaiements et d'un processus de restructuration de la dette (comme il y en a eu en Europe dans les années 1950, et dont a notamment bénéficié l'Allemagne); renégociation du traité budgétaire de 2012 afin d'y introduire enfin de la démocratie et de la justice fiscale. Ce qui est certain, et ce que ces quelques graphiques illustrent assez clairement, c'est que cela n'a aucun sens de demander à des pays dont le niveau d'activité est 10% ou 20% plus bas qu'il y a 10 ans de dégager des excédents primaires de 3% ou 4% du PIB. C'est pourtant ce que les institutions de la zone euro, portées par l'Allemagne et la France, continue de demander à la Grèce, au Portugal, et à l'ensemble de l'Europe du Sud. La priorité absolue aujourd'hui devrait au contraire être de décréter un moratoire sur la dette tant que le niveau d'activité et d'emploi n'a pas retrouvé un niveau correct. Si l'on ajoute à cela que l'on aurait bien besoin de la mobilisation de tous, et notamment de l'Europe du Sud, pour se montrer unis et coopératifs face à la crise des réfugiés, alors la stratégie européenne actuelle relève véritablement du suicide et de l'irrationalité collective.
04:20 Publié dans crise, dette, finance, libéralisme, mondialisation | Lien permanent | Commentaires (0)