23/11/2013
Les Jours Heureux, ou la signification politique de la Résistance / Pascale Fautrier 2013
Pascale Fautrier réalisatrice, scénariste & productrice
La Résistance est trop souvent présentée aujourd’hui comme une consensuelle idylle apolitique boutant hors-de-France l’occupant allemand à coups d’actions héroïques, et c’est une des causes de la confusion qui règne dans les esprits. L’indispensable film de Gilles Perret, vu ce matin au Max-Linder, permet de surmonter cette amnésie historique : les résistants, avant d’être des combattants armés, ont d’abord été des militants politiques luttant à mort contre l’idéologie nazie et fasciste partout victorieuse en Europe.
Et jusqu’en France : à l’heure où la principale formation politique de la droite remet en cause le principe républicain majeur du droit du sol (le droit pour un étranger né en France de revendiquer la nationalité française), il est utile de rappeler que la même droite française s’est ralliée pour plus des trois-quarts à la collaboration avec l’occupant nazi.
Il est urgent et utile de rappeler que la question même de l’utilité militaire de la Résistance intérieure n’a été que très tard tranchée par le Conseil national de la Résistance : le 15 mars 44 exactement, soit le jour même où cet organisme d’unification de la Résistance intérieure et extérieure a adopté son Programme politique pour l’après-guerre, connu sous le nom de Programme du Conseil national de la Résistance.
Il est urgent et utile de rappeler que ce Programme politique constituait pour les résistants la raison d’être de l’action, soit le choix d’une des deux options qui s’offrent aux sociétés modernes depuis l’invention révolutionnaire de la République en 1792 : le choix du partage des richesses et de l’égalisation tendancielle des conditions sociales, contre l’égoïsme de la guerre de tous contre tous, dont la xénophobie et le racisme sont le plus clair signe et le symptôme morbide. Le nazisme et le fascisme ne sont pas je ne sais quel monstrueux accident historique : ils sont la conséquence politique du refus des classes économiquement et politiquement dirigeantes de procéder à une redistribution de biens seule capable d’enrayer la crise de surproduction anarchique (ou, aujourd’hui, de financiarisation folle), à quoi mène la loi du seul profit. Le fascisme est l’expression naturelle de ce refus, lorsque la République n’offre plus aux dominants l’assurance du maintien de leur domination.
Le fascisme a été le choix des classes économiquement dirigeantes, et pas seulement en Allemagne, en Espagne ou en Italie.
Il est urgent et utile de rappeler que ce sont les dominés (les ouvriers) qui se sont le plus massivement engagés dans la Résistance, et parmi eux, les travailleurs immigrés sans droit qu’on appelait à l’époque les FTP-MOI, et dont Léon Landini est l’heureux survivant et porte-voix dans le film de Gilles Perret. Gloire à ces hommes, qui sont morts pour que le mot République signifie encore quelque chose, à l’heure où la grande industrie française négociait des contrats juteux avec l’Allemagne nazie. Léon Landini était là ce matin : je l’ai filmé (mal, avec mon téléphone portable), venant inlassablement témoigner, aujourd’hui encore, de l’héroïsme de ces hommes (il faut maintenir ce mot pour leur mémoire) morts sous la torture sans avoir parlé pour l’honneur d’un pays qui les avait si mal accueillis.
Il est urgent de rappeler, comme Nicolas Offenstadt le fait dans le film, que si le Programme du Conseil national de la résistance a si souvent été invoqué par les candidats à l’élection présidentielle de 2012, l’éradication systématique de toute trace de son application est le signe le plus flagrant d’une crise majeure de la République. A l’heure où un parti d’extrême-droite, fondé par un barbouze de la guerre d’Algérie, et qui a sciemment usurpé le nom de l’organisation communiste de résistance, le Front national, risque d’emporter les suffrages de plus d’un quart des électeurs français (sans parler de la masse de ceux qui adhèrent peu ou prou à ses idées), il est urgent et indispensable de rappeler, en effet, que ce Programme prôna une politique républicaine et sociale révolutionnaire de nationalisation des banques et de création de la Sécurité sociale (pour ne citer que le plus marquant), à laquelle De Gaulle fut contraint de se résoudre : ce général patriote, bonapartiste et colbertiste, ne pouvait que constater la faillite morale de cette bourgeoisie française qu’on a qualifiée à juste titre de moisie, et qui s’apprête aujourd’hui, à peu près dans les mêmes termes qu’alors, à jeter par-dessus les moulins, pour défendre ses intérêts immédiats, les valeurs républicaines qui sont le ciment commun de nos sociétés depuis la Révolution française, et à utiliser l’argument xénophobe pour détourner l’attention de son égoïsme quintessentiel. Pas étonnant que le navire tangue si dangereusement.
Mais à gauche, comment ne pas s’étonner de l’absence de dirigeants du Parti socialiste dans ce film : ils ont tous décliné l’invitation qui leur a été faite, le Président de la République excepté, mais ce n’est pas à ce titre qu’il est interviewé, et alors même que, comme il est rappelé par plusieus inervenants, des socialistes ont rédigé la première mouture du Programme du CNR. Pétain lui-même n’aurait-il pas pu arguer, comme Hollande le fait dans le film, que « On peut dire Non et s’en aller », ou « Le pouvoir c’est pouvoir ». Sous-entendu : on est bien obligés de tenir compte du rapport de force. Aujourd’hui, le rapport de force, c’est les économies nationales sous la coupe des banques et des marchés financiers grâce à l’artifice de la dette. Hier, c’était l’occupation nazie, de longue date préparée par une classe dirigeante munichoise, indifférente à la nuit qui s’étendait sur le peuple espagnol, trouvant les mussoliniens fréquentables et les tchèques bien chatouilleux de leur indépendance nationale. Et l’on sait ce que Pétain a fait de ce raisonnement de politique pragmatiste. Alors quoi ? Le pouvoir pour pouvoir quoi ? La montée inéluctable de l’extrême-droite avec la complicité active des médias et de la droite ? La paupérisation exponentielle des plus faibles, et l’enrichissement constant des riches ? Au passage : je propose de boycotter cette appellation Front national, usurpé par les fascistes, de ne plus l’écrire ni la prononcer lorsqu’elle réfère à ce parti.
J’entends déjà l’ironie des mondains à propos de ce film : « vieille lune gaullo-communiste », « on ne peut pas comparer la situation actuelle avec la situation de la guerre », etc. On connaît la chanson, très intéressée, de récusation systématique de toute comparaison historique, comme si les hommes, à leur insu le plus souvent, il est vrai, ne retombaient inlassablement dans les ornières creusées par ceux qui les ont précédés. Telle est la haine fasciste de l’étranger, de l’être différent, du faible. Tel est le choix de la guerre et du repli nationaliste xénophobe. Tel est l’égoïsme de classes privilégiées qui hurlent de payer l’impôt et aboient contre les Roms, dans des termes que le très réactionnaire capitaine Hadock aurait eus honte de proférer. Les deux vont de pair et sont éructés d’un même élan, sincère on peut le croire, entre deux tentatives fructueuses d’évasion fiscale : refus du partage des richesses, et vomissures verbales à l’encontre de ces salauds de pauvres qui ne songent qu’à accumuler les « avantages sociaux ». Il faudrait ajouter sottise consumériste de ceux qu’on appelle (comment ose-t-on encore?) les «élites ». D'ailleurs sept Français sur dix, dit-on, sont d'accord avec la proposition de Jean-François Copé de remettre en cause le droit du sol. Sept Français sur dix étaient pétainistes. Qu'on ne nous dise pas que l'Histoire ne se répète pas.
Contre cette pente fatale où nous sommes engagés (et qui pourra dire où elle nous mène), retrouvons l’autre voie, celle inventée par ces hommes que vous découvrirez, j’en suis sûre, en allant voir le film, comme Pierre Villon, de son vrai nom Roger Salomon Ginsburger, représentant du Front national communiste, et l’un des principaux rédacteurs du Programme du Conseil national de la Résistance.
Alors oui, soutenons ce film pour tenter de rattraper le temps perdu d'une bataille que nous n'avons pas su mener et que nous sommes en train de perdre, il n'est trop tard que pour les vellitaires et les planqués, allons le voir et le revoir, faisons-le connaître, son destin se joue dans les premiers jours de sa diffusion : il est projeté dès mardi aux 7 parnassiens, et à partir du lendemain, mercredi 6 novembre à l’Espace Saint-Michel et dans 24 autres salles de cinéma dans toute la France. A défaut d’héroïsme (mais je suis certaine que dans ce pays, beaucoup sont prêts à l’héroïsme), voilà un acte politique facile et simple.
00:02 Publié dans crise, culture, démocratie, textes anciens | Lien permanent | Commentaires (0)
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