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01/12/2016

Le mur entre les gens et moi : ce détail légèrement contraignant / Camille

 

Brûlez-moi ces préjugés !...

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Ce texte est tel un grand cri. J’avais besoin de l’écrire et le partager, pour me soulager d’un poids porté trop longtemps. Je l’ai volontairement publié en une seule partie, malgré sa longueur. Il n'attaque aucun individu en particulier : ma colère est dirigée contre un système, contre des circonstances que personne n'a voulues, contre le hasard et les malentendus... Une colère qu'il me fallait néanmoins extérioriser. Bonne lecture ! 


J’ai beau être un Pokédex ambulant, il m’a fallu dix-huit ans pour capter qu’il ne fallait pas vraiment faire un bisou pendant la bise, et dix-neuf ans pour parvenir à deviner dans quel sens il faut tourner la clé dans la serrure d'une porte. Je ne sais pas non plus où vont les objets qui disparaissent, ni à quoi ressemble la non-finitude de l’infini. En fait, je ne sais rien. Vous non plus, d’ailleurs. Nous n’en savons rien, nous sommes tous des ignares irrécupérables. Et on aura beau étudier, nous ne saurons jamais rien. Jon Snow a vraiment plein de choses à nous apprendre, jusqu’à la fin des temps et même après. (Il paraît qu’il fera un peu froid, couvrez-vous !)

 


... (En plus le feu ça réchauffe)

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Cependant, de par ma particularité cognitive, il y a une chose que je sais encore moins que la plupart des gens : bah, les gens justement. Je ne comprendrai jamais totalement ce qu’il se passe dans la caboche des normo-pensants. Je peux comprendre certaines choses d’eux, comme la personnalité, les motivations, les goûts, les peurs, bref, tout ce qui relève d’un vécu commun (parce que ces trucs-là, on en a tous). Mais je ne peux me figurer quel effet ça fait de posséder leur structure cérébrale : ça, ça relève d’un tout autre niveau. Un niveau global, physiologique. Et ce fait est autant valable de leur côté : au-delà de tout ce qui nous rassemble, ils possèdent des « données » qui ne figurent pas dans mon programme et inversement. Cette frontière invisible, je la nomme « le mur ». Aujourd’hui, je vous emmène en promenade de mon côté de la façade.


 « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »


Revenons-en au postulat de cet article : nous ne savons rien. Vous voulez une preuve concrète ? Très bien. Imaginez un jeune garçon qui mange tout seul à la cantine. Tout le monde est d’accord pour déclarer qu’il est seul. Néanmoins, le degré et le type de solitude qu’il subit à cet instant n’est pas immédiatement identifiable. Alors, je vais essayer de déterminer le genre de péripéties que ce garçon pourrait vivre :

- La solitude physique
Bon là c’est clair : aucun humain ne se trouve à proximité du garçon. Il est donc tout seul physiquement parlant. Ce qui implique deux options : 1) Le garçon se sent mal, car il adore la foule et les stimulations sensorielles qui en découlent, et que là, y’a pas foule. 2) Il s’en balec car de toute façon il vit dans sa tête et a les tympans sensibles. Vous ne savez pas.

- La solitude mentale
Le garçon étant tout seul physiquement, il n’a personne avec qui discuter. Là aussi, deux possibilités : 1) Il trouve d’ordinaire de quoi occuper son esprit en discutant avec ses pairs, donc là, comme y’a personne, il s’ennuie ferme et ça l’embête. Peut-être qu’il n’a jamais personne à qui parler et que l’ennui le dévore. Je vous assure qu’un manque de stimulation intellectuelle prolongé, cela peut causer de graves dégâts. Or, peut-être aussi que son meilleur ami est aujourd’hui malade ou ponctuellement en conflit, mais que le reste du temps ce garçon bavarde tranquillou avec lui, donc qu’il n’est pas si malheureux.  2) Il vit dans sa tête, toujours, donc il se distrait en se faisant des films, en récitant les 150 premières décimales de Pi à l’envers, ou en causant avec lui-même (ou d’autres gens : vous ne savez pas NON PLUS à combien ils sont dans sa tête). Souffrance, pas souffrance ? A quel point ? Vous ne savez rien, j’vous dis. 

- La solitude affective
Il est possible que malgré un entourage affectueux et compréhensif, ce garçon se sente incompris dans sa sensibilité : personne ne semble partager l’intensité de ses émotions et à cause de cela, il a l’impression d’être une sorte de monstre. C’est pourquoi il s’isole. Il est également probable que ce garçon n’ait pas du tout d’amis, ni même l’amour d’une famille pour le soutenir. A ce moment-là, il doit souffrir d’un manque de reconnaissance affective, qui sera d’autant plus grand que son état dure depuis longtemps. Il peut en pleurer la nuit, car le vide affectif est une expérience affreuse qui peut vous donner envie de mourir. Ou pas, ou pas, y’a peut-être juste une épidémie de varicelle dans sa division et ses parents sont des anges gardiens descendus sur Terre. Quoique, si ça se trouve, ce garçon est un misanthrope amorphe au dernier degré et la compagnie de la chaise d’en face lui suffit. Eh non, vous ne savez toujours RIEN de lui.

- La solitude existentielle
Peut-être que ce garçon n’est pas un être humain, qu’il s’agit d’un reptilien, d’un extra-terrestre en pleine mission ou du clone caché du vrai garçon, qui lui est enfermé dans une cave aux mains d’une bande de scientifiques fous (les dames de la cantine vous cachent des choses, ça par contre vous le saviez). OU ALORS ce garçon a un cerveau particulier : il n’est pas « neuro-typique » ou « normo-pensant ». Il se sent seul d’une manière qui diffère encore de celles précédemment décrites : il a conscience, intensément et profondément, que l’immense majorité de l’humanité ne peut le comprendre, même avec toute la bonne volonté et tous les efforts du monde. Pas uniquement sur un plan émotionnel, intellectuel ou que sais-je encore, mais sur un plan structurel. Et ce fait le perturbe à tout moment, car il ne cesse jamais d’être dans cet état. Il est « loin », « à côté ». Parce qu’il est né là-bas, de l’autre côté du mur. Ou pas. Vous ne savez pas ce que vit ce garçon rien qu’en l’avisant ainsi, vraiment.
(Liste non-exhaustive, bien sûr.)

Conclusion : il est impossible de mesurer l’ampleur exacte de la solitude d’un individu rien qu’en le regardant manger sa purée. Vous ne savez pas s’il déjeune tranquille sans se poser de questions et que tout va bien, ou s’il songe à se jeter de la fenêtre du troisième étage après avoir pris un dernier repas tout seul avec son désespoir infini, car en plus d’être atteint d’une maladie incurable qui le fait atrocement souffrir, sa maison a brûlé et il est devenu orphelin de troisième famille d’accueil (mais de toute façon ils le battaient ces enfoirés). (Bon j’exagère, dans le second cas il devrait faire un peu la tronche. Mais y’a des gens qui font la tronche au repos, même quand ils sont heureux au fond d’eux-mêmes. YOU KNOW NOTHING !)


Respectez-le et aimez-le. Bon, vous n’êtes pas obligé de l’aimer, mais respectez-le au moins.  
« C’est quoi tout ce bazar Cam’, d’où tu sors tous tes délires ? » De ma pensée en arborescence, pardi ! (Va lire mon charabia dans la rubrique « Paye des rayures », espèce de touriste !) Et mes délires, ils se reproduisent à chaque fois que je croise quelque chose ou quelqu’un (c’est-à-dire tout le temps, car je me trouve rarement dans le néant intersidéral). Alors imagine un peu si ce quelqu’un me donne des informations sur lui, sur ses émotions, ses opinions, son vécu… Diantre, c’est magique, c’est un paradoxe : plus l’interlocuteur veut m’en faire connaître, moins j’ai l’impression d’en connaître ! Les gens sont tellement fascinants… *Va chercher son scalpel*


Je passe ça au scanneur !


Comme l’a si bien déclaré Sun Tzu dans l’Art de la guerre : « Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous connaissez vous-même, mille batailles ne pourront venir à bout de vous. » (D’ailleurs il a dit plein d’autres trucs intéressants ce monsieur, read it now !) Connaître et comprendre : le leitmotiv de mon existence. La quête qui me fait grandir, me rend plus forte et mieux adaptée à ce monde découvrant les crocs. Sans le savoir, sans la maîtrise, cette société pour laquelle je ne suis pas faite ne ferait qu’une bouchée de mon être infime. Connaître et comprendre quoi ?  Tout. Tout m’intéresse. Tout me fascine. Et parmi ce « tout », les gens détiennent une place de choix.


Survoler silencieusement le monde en le transperçant du regard…

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Pour moi, analyser est un comportement normal, que je ne peux pas empêcher : je me sens obligée de disséquer l’esprit des êtres humains comme je me sens obligée de connaître le nom et le mode de vie de l’oiseau perché là-bas. En plus d’être passionnant, c’est automatique. On m’a déjà dit à plusieurs reprises « Mais en fait Cam’ c’est affreux, tu passes ton temps à examiner les gens comme des sujets de labo ! ». Quand ces derniers se rendent compte que j’analyse tout constamment, et eux dans le lot, ils sont souvent horrifiés. Là se pose une grande interrogation : si je ne partage plus mes pensées dérangeantes, est-ce que les gens oublient vraiment cette part de moi où font juste semblant, par confort ? S’ils me disent « Nous t’aimons », aiment-ils mon être entier ou juste ce qu’ils acceptent de mon être, ce qui peut être exposé, le reste devant à tout prix rester dissimulé ? Je ne puis être en paix auprès de ceux ne m’ayant pas démontré que leur affection portait sur mon être profond.


Cependant, j’ai pu remarquer, non sans amertume (étant un poète du XIXème en mon for intérieur, je consomme du désenchantement avec mes tartines), que les gens tendaient à confondre ce que je suis et ce que je montre. Or, ils paniquent en remarquant que moi, j’essaye de ne pas confondre ce qu’ils sont et ce qu’ils montrent. Apparemment, une règle implicite stipule que je devrais faire semblant de tout mélanger, puis faire semblant de tout découvrir quand on le met sur le tapis. Règle qu’en dépit de mes efforts, j’ai d’énormes difficultés à respecter. Outre mon exigence d’authenticité, l’analyse m’est vitale : il s’agit du meilleur moyen de canaliser ma pensée en arborescence. Y’a des HP qui développent d’autres méthodes, la mienne c’est celle-là. Définir un « cadre » au sein duquel concentrer la réflexion, et ce avant que ma tête n’explose en éparpillant partout des milliers de questionnements (oui, quand ma tête explose ça fait des lambeaux abstraits). Quoi qu’il en soit, j’ai mis du temps à saisir le pourquoi de ces réactions hostiles…


Quand quelqu’un me demande de l’aide, j’agis à la manière d’un mécanicien qui répare un moteur : je sors ma boîte à outils (=mes connaissances –que je vais chercher si je n’ai pas déjà- et réflexions personnelles), je tâtonne pour comprendre comment il fonctionne, je repère les failles du système, puis je les lui signale (car contrairement à un vrai mécano, je ne peux pas changer moi-même les pièces défaillantes puisque tout est dans la tête). (J’imagine désormais un garagiste expliquant à son client que sa bagnole ne peut être réparée car, malgré ses conseils avisés, elle refuse de changer par elle-même.) Je peux effectuer le même travail sur tout et n’importe quoi, tant que le sujet demeure immatériel. En outre, même si la description des opérations peut paraître froide, d’ordinaire mon attitude extérieure ne l’est pas, au contraire !


Croyez-le ou non, j’apprécie énormément qu’on me traite de la même manière : je le prends comme une marque de respect (« Je t’accorde du temps et de l’énergie car je considère que tu en vaux la peine ») et l’attention me touche. Par extension, j’ai longtemps considéré qu’agir ainsi était la plus belle preuve de soutien que je puisse offrir aux autres (autrement, je leur fais de beaux dessins). C’est comme si je brandissais un gros panneau « JE SUIS LA POUR TOI, TU ES IMPORTANT. PAIX ET AMOUR SUR TOI. » Et j’étais vexée, non, désespérée, que personne ne veuille me faire ce cadeau à moi, préférant me marteler de gentilles rengaines du type « Mais on t’aime tu sais ». Si elles faisaient beaucoup de bien les premières fois, elles devenaient de plus en plus vides de sens et douloureuses au fur et à mesure qu’on me les répétait. De mon point de vue, ces répétitions signifiaient ni plus ni moins « J’aime seulement ton masque, puisque je ne t’accorde pas de temps et d’énergie pour analyser ce qui te tracasse derrière. Par le pouvoir d’une formule conventionnelle, je t’éjecte de mon chemin ! » A l’inverse, quand quelqu’un rejetait mes tentatives de l’approcher avec ma panoplie du petit charcutier (je me la suis offerte pour mes 4 ans, ils faisaient de la qualité à l’époque), dans ma tête, c’était comme si je lui tendais un magnifique bouquet de fleurs et qu’il le jetait par terre, le piétinait, le brûlait et le donnait à manger à son lapin nain des Enfers (ils se nourrissent de cendre). Ça faisait très bobo à mon petit cœur, quoi.


Il a fallu que je tombe par hasard sur les bonnes lectures pour me rendre compte que ma vision du bonheur correspondait à une gêne, voire à une torture pour la plupart. Et vice-versa. Ainsi, tandis que j’étais intrusive au possible avec les autres, ces derniers me donnaient l’impression de se foutre allègrement de ma gueule, alors qu’à la base tout le monde ne rêvait que d’amour et d’eau fraîche. Voici un point qui me paraissait d’une évidence telle que je ne m’étais jamais posée de question dessus (honte à moi), alors que j'aurais dû le remettre 100 % en question dès le départ ! Ça me dépassait, tout simplement. C’était derrière le mur.

 

 

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Le tribunal du mur


C’est à partir de ce point que tout devient délicat. Moins léger. Plus sombre. Plus violent. Plus réaliste, en somme. Accrochez-vous.


L’être humain, par défaut, est persuadé qu’il sait. Il est régit par tout un tas de croyances, qu’il construit et accumule au fond de son subconscient. Ces certitudes lui permettent d’avoir une base sur laquelle s’appuyer, de garder un cap et de ne pas perdre son temps à se poser 15 milliards de questions. Sans ses « barrières » mentales empêchant la pensée de s’éparpiller, sa confiance en lui et sa santé mentale en prendraient vite un coup. (Arhem…) C’est pourquoi Dieu créa les cours de philo (la philo <3), pour lui rappeler qu’en fait non, il ne sait pas tout, il est même plus proche de ne rien savoir que de savoir quoi que ce soit. Pour l’inviter au questionnement. Car moins l’être humain se pose de questions, plus sa croyance est forte, plus il croit qu’il sait. Et plus il croit détenir la Vérité, plus il pense avoir le droit de JUGER. Il voit le garçon tout seul à la cantine et il juge : « T’as vu comment il est sapé l’autre, tu m’étonnes que personne l’aime ! lolilol ».


Vous connaissez la pilule du féminisme ? (Prenez-la si ce n’est pas encore fait, c’est important. Et n’oubliez pas de la partager avec tous vos amis –partager, c’est cool !) Vous êtes une femme. Depuis toute petite, on vous abreuve de diverses leçons liées aux stéréotypes de votre genre : il faut que vous soyez jolie, souriante, docile, on vous offre une dinette pour Noël et on vous gronde si vous chahutez parce que « ce n’est pas raffiné, les filles ne font pas ça ». En grandissant, de vils représentants de la gent masculine vous harcèlent, vous rabaissent et utilisent le nom de votre genre pour insulter leurs congénères, car ce dernier est synonyme de faiblesse. Vous suivez le système : on vous a dit que tout était ainsi depuis la nuit des temps, que c’est la tradition… Et puis un jour, vous trouvez une pilule. La pilule du féminisme. Curieuse, vous la gobez et BOUM. Vous vous retrouvez propulsée comme par magie dans un monde où on vous injure, où votre corps est considéré comme un objet, où vous gagnez moins d’argent que vos collègues masculins sans aucune raison, etc. En somme, le même monde qu’avant. Sauf que là, vous avez pris la pilule. Vous avez ouvert les yeux. Vous voyez. Vous voyez à quel point on s’est fichu de vous, à quel point vous vous bridez, vous souffrez… et vous voyez que tout ceci a l’air parfaitement normal et acceptable pour beaucoup beaucoup trop de gens ! Vous êtes furieuse, détruite… Une énergie nouvelle parcourt vos tripes. Vous décidez que maintenant, quelque chose va changer. Fini la soumission silencieuse face à tout ce qui vous oppresse. Vous allez militer, vous allez vous battre : pour votre reconnaissance, pour vos droits et pour votre bonheur. Merde !


Figurez-vous qu’un jour, j’ai trouvé la pilule de la douance. BOUM. En fait petit zèbre, si t’as pas eu la chance de grandir dans un troupeau d’autres zèbres, t’as passé ta vie à te réprimer, ignorer tes besoins vitaux pour t’épanouir, tu t’es rongé le frein jusqu’à t’exploser l’embrayage… Ah bon, tu souffres ? Tu pleures la nuit ? Tu fais de bonnes grosses crises d’angoisse quand l’anxiété accumulée toute ta vie remonte d’un coup à la surface ? Tu as des idées noires ? Et bah tu sais quoi, petit zèbre ? TOUT LE MONDE S’EN FOUT. Si si, j’te jure. Vas-y, essaye d’exprimer ce que tu ressens aux autres, sans plus te brider. Primo, ils ne verront pas où tu veux en venir. Secundo, ils te diront que tu les saoules avec tes pavés et te demanderont de redevenir « comme avant ». C’était quand même vachement plus confortable quand ils pouvaient te reprocher d’être bizarre et à côté de la plaque sans se poser de questions. Quand ils pouvaient te JUGER sans gêne, te jeter leurs constats dédaigneux à la tronche, puis tourner les talons et te laisser seule dans ta confusion. (Par contre, quand il s’agira de fantasmer sur la cause de tes maux et de s’exclamer « Ah mais oui je dois être surdoué ! », comme si la douance était un trophée rutilant qu’il est super fun d’exposer dans son salon, t’inquiète pas, ils seront là.)


Cette nouvelle part de toi que tu leur dévoiles, qui s’est enfin débloquée dans ton corps et dans ta tête d’une façon incontrôlable, que tu t’es promis de chérir à l’avenir, leur est insupportable. Insupportable. Ils n’hésiteront pas à te le signaler, d’ailleurs. Ils vont essayer de te persuader que tu es dingue, que tu es malade, qu’il faut arrêter tes conneries un peu (ce serait pas de la secte ?) et retourner à ta place. Tu te prends trop la tête, tu écris trop, tu es trop sensible, trop extrême, tu es « trop »… Même s’ils t’aiment, tu les ennuies, tu les épuises et tu piétines leur zone de confort dès lors que tu te laisses aller. (Tu culpabilises dans le vide, là, tu sais ? Ils ne pardonneront pas ton ignorance de leurs codes car ils te JUGENT, rappelle-toi !) Pour qu’ils t’acceptent, il faudra te réprimer à nouveau. Comme du temps où tu n’avais pas pris ta pilule. Et là, ce n’est pas comme le féminisme : gémis tant que tu voudras, ils ne pourront jamais apprendre à te supporter. Ils ne peuvent pas. Leur cerveau ne peut pas. Tu ne peux être totalement toi-même avec 98 % de l’humanité, car tu es fondamentalement insupportable pour elle. C’est tout le principe de la solitude existentielle, petit zèbre. Allez pleures pas, t’as le reste de ta vie pour digérer la nouvelle !


C'est très simple, il te suffit de trouver la sortie...

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« Mais on est tous différents »


Parfois, ma douance fait tellement chier les gens (oui, disons-le honnêtement), que ces derniers décident de nier son existence. Ainsi, si mon côté insupportable n’est pas dû à ma douance (donc pas inné et irréversible), cela signifie que je peux le corriger, afin de devenir supportable. J’admets que dit comme ça, tout a l’air subitement plus simple à régler. Leur méthode favorite consiste alors à noyer mon expérience dans l’expérience universelle : en clair, répondre à mon « Je suis différente » par « Certes, je ne dis pas le contraire : mais on est tous différents. » (Sous-entendu : « Et nous on n’en fait pas tout un foin, alors fais un effort toi aussi ! ») Parce que ces gens, ils savent ! Ils savent, comme ces hommes qui expliquent aux femmes dans un discours enrobé de sucre qu’ils comprennent complètement ce qu’elles ressentent quand elles se font harceler dans la rue. Ils savent, comme ces blancs qui déclarent aux noirs et aux arabes qu’ils ne sont pas les seuls à souffrir du racisme, parce qu’eux aussi, une fois, un crétin leur a dit « sale blanc ! ». Ils savent, enfin, comme tous les normo-pensants qui liront ce paragraphe en se disant « Ah oui mais non, là ça n’a rien à voir, là je comprends vraiment ce que vivent les HP ! Moi aussi je me sens différent et je souffre de la solitude ! » : ils savent.


Mais je ne juge pas ces gens. Je me questionne sur eux (parce que la philo <3) : pourquoi agissent-ils ainsi ? Et je constate qu’en général, leurs intentions sont bienveillantes. Qu’ils sont tout à fait honnêtes lorsqu’ils déclarent qu’ils peuvent se mettre à ma place de HP. (Je ne peux même pas leur en vouloir, zut… c’est dur d’être un bisounours.) En effet, à l’évocation de certains mots-clés (solitude, différence…), ils ont le réflexe de se plonger dans leur propre expérience de ces concepts. Ils associent leur définition et leur ressenti personnels de la souffrance (construite dans leur vécu) à la souffrance que je suis en train d’exprimer. Dans un élan d’empathie, ils souhaitent entrer en communion avec moi, me rassurer, me faire plaisir… (J’fais pareil, hein, c’est humain !) Ils sont loin de réaliser qu’en agissant ainsi, ils me blessent profondément, me jettent violemment dans un océan de solitude et appuient sur ma tête pour me faire brouter les oursins. Et je ne peux pas me plaindre ! Pour quoi faire ? Pour leur donner l’impression que je remets en question la profondeur et l’intensité de leurs émotions ? (Sincères !!!) Pour qu’ils s’imaginent que je les crois sensibles comme des bigorneaux et cons comme des bélitres ? (« Naaan mais vous ne pouvez pas concevoir ce que MÔA, race suprême, je suis capable de concevoir ! ») Pour qu’ils me sortent que « tout ce que je veux, c’est me mettre sur un piédestal/jouer la martyre alors qu’eux ont de vrais problèmes » parce que dans l’inconscient collectif les « surdoués » sont avant tout des êtres supérieurs qui réussissent partout, et ne s’affirment donc que pour rabaisser autrui ? De toute manière ils savent, et moi non : je ne peux faire le poids contre cela.


Tout ce que je peux tenter, c’est leur expliquer. Leur expliquer qui je suis, comment je fonctionne et pourquoi parfois je suis un peu chiante, mais je fais de mon mieux, je ne le fais pas exprès et il faudra désormais m’accepter ainsi. C’est alors qu’ils tirent leur seconde carte maîtresse, consistant à déclarer que « Oui mais ça, ça n’a rien à voir avec ta douance, c’est juste un trait de ta personnalité. » Technique fort pratique aussi, car ainsi, un problème d’ordre global est réduit à l’état de « donnée » isolée : une donnée est beaucoup plus simple à traiter, changer ou supprimer. Sauf que, hm… Pour un maximum de clarté, voici des petits schémas. (Avouez que ma formidable maîtrise de Paint vous avait manqué !)


Les gens pensent que mon cerveau ressemble à ça :

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En réalité, mon cerveau ressemble plutôt à ça :

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La douance n’est pas une donnée rangée dans un coin du ciboulot avec un amas d’autres données : c’est une structure cérébrale à part entière. Elle englobe tout mon fonctionnement, ne faisant qu’un avec moi. Son prisme colore toute ma personnalité. Dire qu’un de mes traits est dû à ma personnalité plutôt qu’à ma douance est par conséquent un non-sens complet : s’il n’y avait pas ma douance, la caractéristique incriminée ne ressemblerait pas à ce qu’elle est actuellement ! De quelle façon la douance affecte son propriétaire ? C’est un catalyseur. Elle prend TOUT ce qui le constitue et l’amplifie. Evidemment, tous les HP ne sont pas constitués pareils à la base :


Notre petit HP est un littéraire ? Un littéraire, ça aime lire, écrire, penser abstrait… La fée douance passe par là, donne un petit coup de baguette et tadaaam : petit HP ne sait pas écrire un message de moins de trois pages Word (quand il fait un gros effort pour se contenir), déblatère des métaphores à tour de bras et philosophe sur le carrelage dans la queue de la boulangerie. Il bouillera d’envie de partager ses illuminations conceptuelles, mais personne ne captera jamais de quoi il parle (hormis un autre HP littéraire), le faisant se sentir tout seul dans une galaxie lointaine, très lointaine… (Non pas celle-là, une autre, encore plus lointaine. Et moins touristique.)

Petit HP est un scientifique ? Mwahaha. Il se sentira obligé de tout comprendre au monde, autrement ce sera trop stressant pour lui, bien trop stressant. Tiens, il sera insomniaque d’ailleurs, car on ignore trop de choses sur trop de trucs pour se permettre de dormir tranquille. L’empathie ? Ah non, il est trop rationnel pour s’équiper de cette option-là : lui, on le traitera de psychopathe.

L’empathie on va la garder pour l’autre là-bas, l’artiste : « sensible » ? Nan, c’est trop… trop… pas assez. Nan, moi j’ai envie  qu’un jour il sanglote en prenant conscience de la solitude que vivent les feuilles mortes au pied des arbres. Et aussi, je voudrais qu’il soit tellement affecté par la détresse des autres qu’il en fasse des cauchemars, et finisse parfois plus traumatisé que l’interlocuteur qu’il a épongé. Allez, installez-lui une surabondance de neurones miroirs ! Virez-moi cette sérotonine, ça sert à rien : les artistes joyeux et sereins ça produit que dalle, tout le monde sait ça.

Bon bon bon, le trouble de l’attention, c’est pour qui ? –N’oubliez pas de choisir un trait autistique en sortant ! (Qu’est-ce qu’on se marre avec la fée douance.)


(A titre informatif : si le petit HP est tout ça à la fois dans son cerveau, il pourra bien entendu combiner des extrêmes contradictoires et être un philosophe zen mais torturé, à la fois hyperémotif et capable d’un détachement glacial. La nature est créative et son sens de la déconne n’a aucune limite.)


C’est pourquoi, le fait que tous les HP ne partagent pas certaines de mes caractéristiques ne signifie pas qu’elles ne sont pas dues à ma douance. Notez qu’il existe également une variante : « Mais ça n’a rien à voir avec ta douance, c’est juste à cause de ton vécu. » Certes ! Il est vrai que ma douance n’a jamais influencé quoi que ce soit sur mon vécu, c’est pas comme si j’étais née avec en plus. *Se tape la tête contre le mur que les gens ne voient pas* Mais nom d’un p’tit diabolo pêche, espèce de rabat-joie, tu es tellement à côté de la plaque ! Peut-être pas autant que moi, mais presque ! (Un jour il faudra cartographier cette plaque, j’ai jamais pigé où elle était exactement.) Sérieux, à force de dire « Mais ça, ça n’a rien à voir avec ta douance », je me demande bien ce qui au final peut avoir un rapport avec ma douance pour ces gens… Rien, tout à fait, là est leur idéal : je les soupçonne de comploter pour virer le délire de mon cerveau petit à petit, pour que je (re)devienne « normale », plus « comme eux », pas chiante quoi (en croyant déloger un parasite, ils me détruisent la charpente, mine de rien). En outre, ce qui dérange en général (là réside l’ironie de l’histoire) n’est pas une caractéristique en elle-même, mais son intensité. J’en fais « trop » et je dois en faire « moins ». Et pourquoi suis-je si intense dans ma façon d’être ? Ah.

 


Conclusion…


… Il y a eu méprise : en réalité le fameux mur est une vitre teintée. Peste, ça complique l’affaire… Bon, soit. Je n’ai peut-être pas le talent de l’Eglise pour donner foi aux gens dans des choses invisibles, mais s’il vous plaît, soyez respectueux de ce que vivent les HP. Ils ne vous retirent rien en exprimant une souffrance qui leur est propre ! Ils cherchent juste un peu reconnaissance, pour ne pas avoir l’impression que le monde entier les contemple souffrir l’œil éteint en mâchonnant des malabars. Souvenez-vous des points suivants (valables pour une grande partie des HP, en présupposant que ce sont des gens bien –y’a des HP très cons, ce fléau n’épargne personne) :


- Non seulement ils discernent ce qu’il y a derrière les masques (ou cherchent à le discerner), mais en plus, ils focalisent leur attention là-dessus. Et ne pas y penser est quasi-impossible : c’est pourquoi ils oublient tant les rituels relatifs à ce qu’il se passe en surface. Eh, détendez-vous ! Cela signifie qu’ils se foutent de vos imperfections et de vos étourderies, qu’ils viendront s’asseoir à côté de vous à la cantine pour s’assurer que tout va bien (même s’ils ne savent rien de vous), qu’ils ne diront pas que vous êtes faibles si vous pleurez et essayeront toujours de vous comprendre avant de vous juger : car tout ce qui compte pour eux, c’est l’âme que vous planquez au-delà de toutes vos tentatives d’être socialement conforme. (Et ils n’ont pas remarqué vos fringues.) Profitez-en bordel !

- Quand vous vous confiez à eux, ils enregistrent votre problème et passent ensuite du temps à l’étudier, afin d’élaborer des solutions spécialement pour vous. Ils vont vouloir approfondir, être exhaustifs et efficaces. Si cette manière de procéder ne vous convient pas, surtout, dites-leur clairement, expliquez-leur pourquoi (ils ont besoin de comprendre, de connaître le sens) et indiquez-leur avec précision ce que vous attendez d’eux. Si vous ne leur dites pas qu’il est important pour vous qu’ils remarquent votre tenue ou vous fassent entendre certains mots, ils risquent de ne pas le deviner (puis seront déconcertés quand vous leur reprocherez de ne pas assez s’occuper de vous). Certains HP ont été coachés et savent déjà comment s’y prendre, d’autres pas : apprenez-leur donc ! Ils adorent apprendre !

Si au fond de vous, vous niez leur identité et leur vécu, peu importe les efforts que vous ferez pour leur présenter une façade souriante, ils le sentiront, seront tourmentés et s’éloigneront de vous. En revanche, s’ils « voient » derrière votre masque que vous n’êtes pas de ceux qui les jugent ou minimisent leur expérience, vous aurez toute leur gratitude (et un service à rayures).

Chouettement vôtre
 


Source :  l'Antre de la Chouette


un grand merci à Camille la Chouette pour ce magistral & décapant témoignage

 

Commentaires

super !!!

Écrit par : Cathy | 01/12/2016

C'est toujours un plaisir de relayer des textes aussi forts et percutants, à l'humour corrosif !

Écrit par : jl | 02/12/2016

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